- PATRIARCATS
- PATRIARCATSLes patriarcats sont des regroupements plus ou moins centralisés de diocèses qui se sont formés empiriquement, entre le IVe et le VIe siècle, autour de quelques grands sièges épiscopaux, dans l’Empire romain comme au-dehors, sous l’influence de facteurs à la fois religieux, culturels et politiques. Cette évolution, sanctionnée par les conciles œcuméniques et par le pouvoir civil, a déterminé la structure canonique de l’Église indivise du premier millénaire. Au début du second millénaire, la division s’installa entre l’Orient et l’Occident, principalement à cause de l’impossibilité de s’accorder sur le rôle propre du siège de Rome au sein de cette structure patriarcale. Comme successeurs de Pierre, les papes réclament en effet une responsabilité plus large que celle de premiers parmi des égaux que l’Orient leur reconnaît volontiers. Malgré l’évolution de l’institution patriarcale dans l’orthodoxie moderne, tel est encore, fondamentalement, le débat qui retarde la réconciliation plénière entre catholiques et orthodoxes.Formation des patriarcatsLa hiérarchie entre les Églises locales est née de la nécessité pour les évêques d’une même région d’adopter une attitude commune face aux problèmes les plus importants; c’est auprès de l’évêque de la capitale régionale qu’il leur était le plus aisé de se réunir: on lui reconnaîtra d’autant plus volontiers l’initiative de convoquer les conciles locaux que son Église, quelquefois illustrée par l’activité d’un apôtre, est souvent la plus ancienne et la plus nombreuse, l’expansion du christianisme antique s’étant faite à partir des grands centres urbains. Aussi constate-t-on, avant même la Paix de l’Église, l’autorité de fait des métropoles, parmi lesquelles certaines tiennent une place éminente, qui sera reconnue par le canon 6 du concile de Nicée (325): les trois capitales d’alors, Rome pour l’Occident, Alexandrie pour l’Égypte et Antioche pour le diocèse (civil) d’Orient, se voient attribuer une place privilégiée dans l’organisation ecclésiastique, sans autre motivation que la coutume. Mais, dans le contexte de la rivalité entre l’Ancienne et la Nouvelle Rome, on cherchera une explication univoque à cette évolution largement empirique: s’appuyant sur le canon 28 de Chalcédoine (451), Constantinople en appellera au principe politique, celui de l’accommodement des circonscriptions ecclésiastiques à celles de l’administration civile tandis que saint Léon de Rome entend casser ce même canon au nom du principe apostolique: «Une chose est l’organisation des affaires séculières, une autre celle des affaires de Dieu.» La succession pétrinienne à Rome, à Alexandrie et à Antioche fonde, selon Rome, la hiérarchie entre les sièges patriarcaux, tandis que Constantinople ne peut s’appuyer que sur son titre de capitale de l’Empire pour revendiquer la deuxième place. En réalité, l’un et l’autre principe ont joué ensemble puisque toutes les Églises apostoliques ne deviennent pas patriarcales et que toutes les Églises patriarcales ne sont pas apostoliques. Enfin, hors des frontières de l’Empire se forment le patriarcat d’Arménie et celui de Séleucie-Ctésiphon (410), futur centre de l’Église nestorienne.La pentarchie et son évolutionC’est surtout à partir de Justinien (482-565) que se développe la «pentarchie» ou gouvernement des cinq patriarches; selon la codification de cet empereur (notamment dans les Novelles 81 et 123), les sièges se rangent dans l’ordre de préséance suivant: Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche, Jérusalem. Ils sont comme les cinq sens de l’Église et ils ont la responsabilité commune de la foi et de la communion. Même après la rupture avec Rome, la théorie demeure en vigueur, les Russes plaçant Moscou au cinquième rang. À partir du XIXe siècle, elle est cependant sévèrement attaquée par les fondateurs des Églises autocéphales, moins pour son contenu doctrinal que pour sa limitation au nombre de cinq, les patriarcats se multipliant avec les Églises nationales. Aux quatre sièges antiques s’ajoutent aujourd’hui les patriarcats de Moscou (supprimé par Pierre le Grand et restauré en 1917), de Géorgie (restauré en 1918), de Serbie, de Roumanie, de Bulgarie. Le titre de patriarche œcuménique, porté par l’évêque de Constantinople, n’implique aucune juridiction sur l’ensemble de l’orthodoxie mais doit être compris selon son sens originel de conformité à la doctrine commune à l’Orient et à l’Occident. Enfin, contrairement au pape de Rome, libre d’agir seul, un patriarche orthodoxe ne peut prendre de décisions engageant son Église qu’avec son synode.Patriarcats non chalcédoniens et patriarcats catholiquesLes Églises orientales nées de la crise nestorienne et monophysite se régissent aussi selon une structure patriarcale. Elle est traditionnellement centralisatrice chez les nestoriens et chez les coptes (patriarcat d’Alexandrie, dont le patriarcat d’Éthiopie s’est définitivement émancipé en 1959). L’Église arménienne a deux patriarcats majeurs dits catholicossats (Etchmiadzine et Sis-Antélias) et deux patriarcats mineurs (Jérusalem et Istanbul). Le patriarche de l’Église syrienne réside à Damas.Au sein de l’Église catholique contemporaine, l’institution patriarcale revêt des modalités propres. Le titre est purement honorifique en ce qui concerne le patriarcat de Venise, lointain héritier de celui d’Aquilée (Grado) et les patriarcats modernes des Indes occidentales (attribué à un évêque espagnol depuis 1524), de Lisbonne (1716) et des Indes orientales (Goa, 1886). Le patriarcat latin de Jérusalem, réservé à un prélat italien depuis sa restauration en 1847, est le seul des quatre patriarcats latins créés en Orient lors des croisades à avoir été maintenu; les autres ont été supprimés par Rome en 1964, en signe d’esprit œcuménique. En fait le seul véritable patriarche de l’Église d’Occident est l’évêque de Rome. Il agit en tant que tel lorsqu’il légifère pour l’Église latine, ainsi Paul VI maintenant le célibat, dans son encyclique de 1967, pour les seuls prêtres catholiques de rite latin.Pour des raisons ecclésiologiques, Vatican II a revalorisé l’institution patriarcale dans les Églises orientales unies: préséance des patriarches sur les cardinaux; échanges de lettres de communion avec le pape lors de leur élection et non plus confirmation. Cette revalorisation se heurte cependant à la faiblesse numérique des catholiques orientaux, à la multiplicité de titulaires pour un même siège (Antioche compte un patriarche maronite, un syrien et un melkite) ou à la multiplicité des sièges pour un seul titulaire (le patriarche melkite d’Antioche l’est aussi d’Alexandrie et de Jérusalem). La situation actuelle de ces patriarcats ne préfigure donc pas celle qui pourrait exister après la réconciliation de l’Orient et de l’Occident. Elle n’est pas conforme à la promesse solennelle faite par l’Église romaine au concile de Florence en 1439; selon le IIe concile du Vatican (décret sur les Églises orientales, no 30), il n’y a là que dispositions provisoires.Signalons, à titre de curiosité juridique, que dans l’ensemble des pays arabes successeurs de l’Empire ottoman les patriarcats exercent la juridiction civile sur leurs fidèles en matière de statut personnel, conformément au droit coranique, qui laisse cette autonomie aux chrétiens.
Encyclopédie Universelle. 2012.